Roger, Armand, Charles, Robert DOCAIGNE

1/06/1919 Le Havre – 27/02/1999 Saint-Germain-lès-Corbeil (91)

Élève lycée de garçons (1931-1938)

Élève officier

Résistant, alias Girardin, Guérin, Chevrier...

« Énarque »

Haut-fonctionnaire


Collection personnelle famille Docaigne

Roger Docaigne naît au Havre dans une famille ouvrière. Son père travaille chez un négociant en coton (la Compagnie d’exploitation cotonnière) et, parfois, sa mère travaille à la cuisine, dans des cantines. Il a une sœur aînée et un jeune frère. Peut-être va-t-il habiter dans ses premières années rue de l’Alma, dans le quartier de la Rampe, où il est possible qu’il ait fait la connaissance de René PERROCHON. Il va en tout cas pratiquer avec lui le scoutisme aux Éclaireurs de France, un mouvement laïque. Il va toutefois passer une partie de son enfance au Plein air, à Bléville, et fréquenter l’école communale de cette petite ville pas encore annexée au Havre.

Il va effectuer sa scolarité secondaire au lycée de garçons, externe libre de la 6ème à la Terminale « maths élem » à la fin de laquelle il obtient son baccalauréat. C’est, dit-on, un bon élève que ses professeurs poussent à envisager les classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs. Et puis, la guerre éclate. Son beau-frère, le mari de sa grande sœur, est fait prisonnier et envoyé en captivité en Allemagne, dans un stalag. Le jeune Roger sait, quant à lui, que l’appel de sa classe d’âge va l’obliger à interrompre ses études. En attendant, il cherche un emploi dans l’enseignement.

Il est en définitive incorporé en novembre 1939, et suit le parcours qui doit en faire un officier du Génie et, plus tard, un officier de réserve. Il passe d’abord par Angers, puis Versailles jusqu’à ce que le centre de formation se replie à Rabastens (Tarn, dans le secteur de Gaillac). Maintenu dans l’Armée d’armistice, il y termine sa formation d’officier, mais le grade de lieutenant lui est refusé au motif suivant : « Doit apprendre à obéir avant de commander ». Le patriote qu’est Roger Docaigne ne supporte pas de vivre dans une France vaincue et occupée, de même qu’il ne tolère pas les mesures prises à l’encontre des juifs. Il va tenter de passer en Algérie via Sète, puis en Angleterre avec des aviateurs de Châteauroux. En août 1942, il va essayer, avec quelques camarades, de rejoindre les Canadiens débarquant à Dieppe. Trois pistes, trois échecs…

Photographie de groupe des Éclaireurs de France. Collection personnelle famille Docaigne

Il va effectuer une quatrième tentative. En juin 1943, il quitte Le Havre pour le sud avec son grand ami René Perrochon et Jean NOYÉ, qui fuient tous deux le STO. Le cap est mis vers Nice, puis l’Afrique du Nord et la France libre. Ce sera pour Roger Docaigne un nouvel échec, de même apparemment qu’une nouvelle tentative de gagner l’Angleterre. Finalement, tous trois vont trouver une filière pour se joindre aux maquis de l’organisation de Jean Prévost, fils d’un instituteur de Montivilliers, et en particulier celui de Tréminis dans l’Isère. Nous sommes le 11 août 1943. L’arrivée de Roger Docaigne et de sa formation d’officier sont les bienvenus dans ce maquis où les nouvelles recrues sont en général très inexpérimentées. En septembre, il rejoint l’État-major du 4ème bataillon de l’Armée secrète de Savoie. Le 19 octobre 1943, suite à la trahison d’un maquisard, l’occupant attaque le maquis de Tréminis. René Perrochon est fait prisonnier et sera fusillé quelques semaines plus tard. Parmi les survivants, Jean Noyé parviendra à rejoindre le maquis voisin de Malleval-en-Vercors et à continuer la lutte. Roger Docaigne réussit avec des camarades à rompre l’encerclement et à gagner Cordéac (Isère, aujourd’hui Châtel-en-Trièves). C’est à cette époque qu’il croise, à Grenoble, Jean SOUKALSKI, jeune Résistant de la même organisation, d’origine ukrainienne, qu’il a bien connu avec René Perrochon aux Éclaireurs de France au Havre, qui sera bientôt mortellement blessé dans une opération. Puis il reçoit l’ordre de l’« organisation Prévost » de gagner la Maurienne, et notamment le maquis d’Albiez-le-Vieux (Savoie, aujourd’hui Albiez-Montrond), pour participer à son encadrement. Il devient le « lieutenant Girardin ». Petit à petit et à mesure des circonstances, ses responsabilités vont augmenter. Il va encadrer d’autres groupes, participer aux opérations de parachutage, à la distribution d’armes, à des sabotages, à des combats.

En mars-avril 1944, il reçoit une visite peut-être inattendue. Il s’agit de Denise COQUIN, la fiancée de feu René Perrochon. Après son acquittement fin 1941 lors du procès où avait notamment été condamné Gérard MORPAIN, après avoir séjourné un moment dans la région parisienne dans la famille de son fiancé, elle avait regagné Le Havre courant 1943 et était entrée à L’Heure H. Après l’arrestation de Roger MAYER, le 11 mars 1944, elle était recherchée et a dû fuir. Elle a donc pris la route des maquis alpins pour y retrouver Roger Docaigne. Celui-ci va l’incorporer comme agent de liaison, un rôle où elle va se révéler particulièrement efficace. Elle fera notamment plusieurs fois la route entre Le Havre et la Maurienne.

Denise Coquin. Collection personnelle famille Docaigne.

Roger Docaigne, quant à lui, devient le responsable de maquis de la Maurienne. C’est lui qui va donner l’ordre de mobilisation générale aux maquisards de son secteur ; lui qui, lors d’une cérémonie secrète et chargée de symboles, leur remettra dans une forêt les brassards FFI censés remplacer les uniformes qu’ils n’ont pas. Pendant l’été 1944 vont ainsi commencer les combats de la Libération. Le 27 août 1944, le « lieutenant Girardin » consent à accorder aux Nazis une trêve pour leur permettre de se réfugier en Italie, devant leur menace de mettre la Maurienne à feu et à sang, ce qu’ils viennent de bien illustrer à Saint-Michel-de-Maurienne et son usine d’aluminium…

Le 1er septembre, Roger Docaigne se trouve à Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), en compagnie de Denise Coquin et d’un autre agent de liaison. Les Allemands veulent les prendre en otage. Seule Denise Coquin, protégée par ses deux compagnons, parvient à s’enfuir, les deux autres étant enfermés à la caserne Ferrié. Le lendemain, elle cherche à entrer en contact avec ses camarades en s’approchant de leur lieu de détention, mais elle est reconnue, probablement par un de ceux qui avaient tenté de l’arrêter la veille, et doit à nouveau s’enfuir. Sans doute s’aperçoit-elle que sa chevelure rousse la rend très visible et reconnaissable : elle se rend chez un coiffeur et se fait teindre en brun avant de fuir à nouveau. Les otages seront libérés dès ce 2 septembre sous la pression conjuguée des maquis, de l’action du maire de Saint-Jean-de-Maurienne et, sans doute, de l’envie de fuir des troupes ennemies…

Dès sa libération, Roger Docaigne est informé que les Nazis ne respectent pas leur parole d’épargner la population civile. Il donne donc l’ordre de rompre la trêve. Le 6 septembre 1944, dans les combats de Modane (Savoie) où il commande un bataillon complet de maquisards venant du sud (des Tirailleurs Marocains de la 1ère Armée Française débarquée en Provence, des F.T.P. et une compagnie de maquisards de la Tarentaise abordant la ville par le nord), le « lieutenant Girardin » est gravement blessé au poignet et au genou par un éclat de mortier et est évacué. Il refusera l’amputation de sa jambe, et restera gêné toute sa vie par les séquelles de cette blessure. Ces combats très durs s’achèveront le 13 septembre par la fuite des Nazis vers l’Italie par le tunnel du Fréjus dont ils feront sauter l’entrée. La Maurienne est libre, mais ravagée par les troupes allemandes : villages incendiés, pillés, populations massacrées, tout comme le bétail, usines dynamitées. Roger Docaigne restera dans l’armée un certain temps à Grenoble, le temps que ses blessures cicatrisent. C’est là qu’il épousera Denise Coquin qui lui donnera cinq enfants, qui seront tellement choyés par la famille Perrochon qu’ils s’étonneront un jour que leurs grands-parents maternels se nomment Perrochon alors que le nom de jeune fille de leur mère est Coquin… Annette, la sœur de René, sera la marraine de leur aînée.

Roger Docaigne est alors rendu à la vie civile, avec un grade de lieutenant-colonel affecté à la réserve, lui qui n’avait jamais été nommé lieutenant. Après un bref retour au Havre, il va, de janvier 1947 à décembre 1948, suivre les cours de la nouvelle « École nationale d’administration », également ouverte, dans les premières années, apparemment par dérogation, aux résistants. Cette école a été créée à Paris pour former des hauts fonctionnaires capables de remplacer ceux qui avaient collaboré ou étaient compromis avec le régime de Vichy. Il intègre la promotion « Croix de Lorraine » (tout comme, par exemple, Michel JOBERT et Michel PONIATOWSKI) et est sans doute le premier énarque havrais. Il fera toute sa carrière au service de l’État au sein du ministère des Finances d’abord, puis de celui de la Santé et des Affaires sociales (il sera inspecteur général des Affaires sociales). D’octobre 1964 à octobre 1965, il sera auditeur de la 17ème session à l’Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN). Son épouse, une fois les enfants élevés, travaillera pour les Ponts-et-Chaussées à Versailles…

Il meurt à l’âge de 79 ans. Après son décès, le « Dauphiné Libéré », le grand quotidien régional, consacrera une demi-page à cet évènement sous le titre : « Le lieutenant Girardin n’est plus »

Roger Docaigne a été homologué FFI (Forces françaises de l’intérieur) et était titulaire de la carte CVR (Combattant volontaire de la Résistance) depuis 1952.

Décorations :

  • Officier de la Légion d’honneur (JO du 3 septembre 1955)
  • Officier dans l’Ordre national du Mérite (JO du 19 juin 1966)
  • Croix de guerre 1939-1945
  • Médaille de la Résistance française

Sources :

Un merci tout particulier à Madame Patricia DOCAIGNE, qui fut l’épouse de Thierry Docaigne, un des fils de Roger Docaigne et Denise Coquin (décédé, tout comme ses frères François et Fabien) , qui nous a très gentiment communiqué des documents ayant permis d’illustrer cet article, ainsi qu’à Mesdames Laurence et Claire Docaigne, les deux filles du couple, qui nous ont permis de corriger certains oublis.

Ce document n’est autre qu’une des fausses cartes d’identité, celle-ci au nom de Pierre GUÉRIN, utilisées par Roger Docaigne en Maurienne. Elle est annotée par son épouse Denise… Collection personnelle famille Docaigne.

Écrit par : Jean-Michel Cousin

Le 16/09/2023