LE LYCÉE PENDANT
LA SECONDE GUERRE MONDIALE


Contrairement à ce que l’on pense souvent, ce ne sont pas les bombardements de septembre 1944, les plus meurtriers, qui ont modifié les plans d’origine du Lycée.

Extrait du Plan du Havre de 1895
Archives Municipales cote 1Fi1

Des abris et des tranchées sont construits dès 1939, et le monument aux morts est « enterré » pour le protéger. Un abri est aménagé dans les caves de l’aile ouest accessible à ses deux extrémités, dont une par un escalier près de l’économat de l’époque, situé sous la Salle Morpain actuelle, derrière le monument aux morts. Il est étayé par des madriers de bois. Le sol est recouvert de caillebotis pour parer, tant bien que mal, aux remontées d’eau. C’est sans doute de cet abri que le proviseur, Edmond RESCA, voit tomber des bombes d’un soupirail en 1944. Sa taille devait être importante, puisque, toujours d’après le récit d’Edmond RESCA, il a accueilli jusqu’à 800 personnes en septembre 1944. Deux tranchées, en lignes brisées pour couper le souffle des bombes, sont creusées dans la cour entre l’aile est et la rue Just-Viel. Les élèves y descendent, le masque à gaz en bandoulière pendant les alertes aux bombardements allemands. Ce sont des tranchées aux parois étayées de bois. Elles sont recouvertes d’un toit de tôle puis de planches de bois, le tout recouvert de terre. La première fait 20m de long et peut accueillir 80 personnes ; la deuxième 30m de long et accueillir 120 personnes.

Deux succursales du Lycée sont créées à Étretat et à Saint-Valéry-en-Caux pour accueillir les élèves du lycée mais aussi du lycée de jeunes filles et même de Paris ou plus loin, ce dans des lieux moins exposés.

Le lycée lui-même, qui accueille des jeunes filles pour leur 2e partie de baccalauréat depuis 1927, leur nombre étant insuffisant dans leur lycée, en accueille encore plus, notamment après l’occupation de leur lycée par les Allemands. Il prend alors le nom de « Lycée de garçons du Havre », alors que jusqu’en 1939, il était connu comme « Lycée du Havre ».

Dès le 19 mai 1940, des réfugiés belges, surpris par un bombardement, arrivent au lycée à 1h du matin. (Notons que le gouvernement belge s’était réfugié, comme en 1914, à Sainte Adresse mais pour une très courte durée cette fois).

Le mardi 4 juin 1940, le bombardement allemand commence à 21h55 et les vibrations arrêtent l’horloge du Lycée à 22h. A 23h10 une bombe de gros calibre tombe sur les n°24 à 32 de la rue Just-Viel, dévaste la chapelle, brise les carreaux et arrache des portes et fenêtres de l’aile est.

Le jeudi 13 juin les Allemands investissent Le Havre. Les personnels sont partis en exode et les Allemands occupent brièvement les logements de fonction.

Un très important bombardement anglais dans la nuit du lundi 14 au mardi 15 octobre 1940, de 20h45 à 23h45, endommage fortement le temple protestant et, à 23h15, le retour ouest de l’aile sud. Sont aussi touchés l’école de filles, rue Lemaistre, et le n°5 de la rue Ancelot. Madame CASTEL, épouse du surveillant général, est blessée. Des plaquettes au phosphore créent un commencement d’incendie dans le couloir des classes de physique et menacent la Bibliothèque Municipale. Les pompiers sont appelés à 1h du matin, mais le dépensier (l’agent-chef), M. TOUZAC, arrive à le maîtriser avant qu’il ne s’étende. Les Allemands qui occupaient l’aile sud, l’évacuent et elle restera comme le montre la photo ci-contre jusqu’en juin 1942.

Photo : Ch. FÉRON Cliché Le Havre Libre
Le temple et l’aile sud tels qu’ils étaient avant les bombardements
Archives Municipales du Havre cote Fi116

Henri LAGRANGE (vice-président de l’Association) se souvient d’une inscription laissée en écriture gothique sur un tableau noir :

« Wir Deutschen fürschten Gott, aber sonst nicht in der Welt. » phrase prononcée par Otto von BISMARCK au Reichtag le 6 février 1888, (Nous les Allemands, craignons Dieu, mais sinon rien d’autre au monde).

Le 6 juin 1941, visite de Jérôme CARCOPINO, professeur agrégé d’histoire et géographie et, depuis le 24 février 1941, secrétaire d’État à l’Éducation Nationale. Il reçoit ses anciens collègues et ceux du lycée de jeunes filles dans le bureau du Censeur.

Le samedi 4 juillet 1941, la Kommandantur du Havre convoque le personnel des deux lycées pour leur reprocher « Vos établissements sont un foyer de Gaullisme » alors que vous devriez être les bons « fonctionnaires d’un gouvernement qui collabore ».

Ce même jour, selon certaines sources, Gérard MORPAIN est arrêté et sera fusillé en 1942.

D’autres professeurs, personnels ou élèves résisteront et des lycéens seront dans la défense passive.

Un troisième bombardement a lieu entre 04h et 05h30 le samedi 23 août 1941. Une bombe, tombant 11 rue Ancelot, manque de peu la Bibliothèque Municipale, mais d’autres bombes détruisent le 64 et le 72 rue Anatole-France, continuant à endommager l’aile sud, située en face.

Un quatrième bombardement dans la nuit du lundi 15 au mardi 16 septembre 1941 qui dure de 21h30 à 0h30, endommage le retour est de l’aile sud, qui brûle.

L’aile sud abritait les salles de sciences au 1er étage et le « Petit Lycée » ou « Petit Collège » au rez-de-chaussée, avec une entrée rue Anatole France. Celui-ci cesse de fonctionner : les élèves jeunes ont été évacués hors du Havre et les autres répartis ailleurs dans la ville. Des baraquements seront installés ultérieurement et seront utilisés jusque dans les années 60.

La verrière du gymnase (croix sur le plan du lycée), (qui contenait un dépôt de matériel de la Kriegsmarine), est bien sûr soufflée. Mais, la verrière reconstruite, la « salle de gymnastique » est utilisée, également pour des manifestations comme la distribution des prix, jusqu’à la construction d’un nouveau gymnase, de l’autre côté de la rue, inauguré le 21 novembre 1963, dû à un ancien élève architecte : Pierre LE BOURGEOIS.

Le 4 octobre 1941, l’acte constitutionnel n°010, fait obligation pour les fonctionnaires de prêter serment au Maréchal Pétain. Un ancien professeur du lycée, devenu surveillant général à Troyes, Charles GARCERIES, est révoqué pour avoir refusé de prêter ce serment et entrera dans la Résistance, dans le groupe Jean notamment, lorsqu’il rentrera au Havre.

En juin 1942, les ruines de l’aile sud sont abattues, mais on laisse la cour couverte qui sert de gymnase.

Si Le Havre subit d’autres bombardements alliés au cours de 1942 et 1943, le lycée est épargné et continue à fonctionner de façon mixte, avec des effectifs réduits, tant au point de vue des personnels que des élèves. Ceux-ci passent le baccalauréat en mai 1944, les copies sont apportées « à pied », mais plus probablement à vélo, au rectorat de Caen par Abel MIROGLIO. Mais celles-ci brûlent dans le rectorat le 6 juin et les élèves devront repasser les épreuves en octobre.

A partir du 2 septembre 1944, la ville se trouve isolée par deux divisions britanniques appartenant à la première armée canadienne et la ville est bombardée du 5 au 11 septembre.

Le mardi 5 septembre 1944 entre 18h05 et 20h des bombes, notamment incendiaires, tombent sur le centre-ville. Deux bombes explosives finissent de détruire la chapelle, qui sera reconstruite par Pierre LE BOURGEOIS et inaugurée en 1964. A part quelques flammèches dans les combles, le lycée est épargné, ce qui lui permet d’accueillir en urgence les documents qui ont pu être sauvés de l’Hôtel de Ville en flammes et l’administration municipale. La loge du concierge devient un poste de police et la Salle des Actes, actuel C.D.I., servira ensuite de Salle des Mariages.

Le lycée de jeunes filles, qui se trouvait rue Jules-Ancel, tout près de l’Hôtel-de-Ville, est lui aussi détruit, et le Lycée de garçons accueille celui de filles, dans l’aile nord, avec une entrée rue (actuelle impasse, qu’elle était, en fait) Baudin, différente de celle des garçons, qui se faisait à l’époque par la cour du Monument aux Morts. Ce jusqu’à l’achèvement des travaux en 1955 (inauguration en 1956) du nouveau lycée de jeunes filles, actuel collège Raoul-Dufy. De plus, les documents les plus précieux de la Bibliothèque Municipale (partie nord de l’aile ouest) avaient été évacués, ce qui laisse un peu plus de place pour accueillir les lycéennes. Grâce à des horaires légèrement décalés, les filles ne se trouvent pas, dans les couloirs et les récréations, avec les garçons ! Des baraquements, servant de salles de classe, seront construits, utilisés ensuite par le « Petit Lycée » et ne disparaîtront qu’après l’inauguration de l’aile sud actuelle.

Le 12 septembre, à 9h30, c’est dans le bureau du proviseur que les Anglais prennent contact avec le nouveau préfet-délégué, Pierre CALLET. Celui-ci accueille officiellement à la grille le Maire, Pierre COURANT, acclamé par la foule. Après que Pierre CALLET ait lu à haute voix la proclamation du général Eisenhower, les officiels et Edmond RESCA, le proviseur, déposent, aux accents de la Marseillaise suivi du célèbre  It’s a long way to Tipperary  chantés par la foule, des fleurs devant le Monument aux Morts du lycée dont seul le haut a été dégagé de sa gangue protectrice, sur laquelle flotte un drapeau français. Jehan LE POVREMOYNE, chargé par les alliés, dès 1943 de relancer la presse havraise dès la libération de la ville, se présente au lycée au nouveau sous-préfet avant de se rendre à ce qui restait du siège du journal Le Petit Havre. La reddition de la garnison allemande n’a lieu officiellement qu’à 11h30.

L’économe du lycée s’affaire et 18 menuisiers remettent en état 30 salles pour la rentrée qui aura lieu le 6 novembre 1944. (Elle avait lieu en général vers le 1er octobre)

Le 8 mai 1945 les lycéens se réunirent autour du Monument aux Morts du lycée à l’heure de la rentrée et allèrent chercher les élèves de l’École primaire supérieure de filles de la rue Charles-Auguste-Marande avant de défiler vers le Rond-Point.

Sources :

  • Le Havre 1939-1944 Les abris sanitaires civils et allemands de Jean-Paul DUBOSQ (Editions BERTOUT (Dépôt Légal 4e trimestre (décembre) 1992)
  • La Libération au Lycée du Havre par l’ancien proviseur de l’époque Edmond RESCA in Bulletin n°19
  • Émile BÉCHET in Bulletin n°102 (repris du discours des Prix 1945 par Émile BÉCHET)
  • Notre lycée en guerres par Philippe MANNEVILLE in bulletin n°112
  • Madeleine MICHELIS [mi∫lis] future résistante fusillée y enseignera Madeleine Michelis Correspondance d’avant-guerre et de guerre Collection Résistance Editions Le Félin (dépôt légal janvier 2015)
  • Le lycée du Havre par Félix MALLET in Bulletin n°85
  • La guerre rue Ancelot par Jean ROMAIN in Bulletin n°83
  • Souvenirs de M. André CAILLOT in Bulletin n°87
  • Le Havre 1940-1944 Cinq années d’occupation en images de Jean-Claude et Jean-Paul DUBOSQ Editions Bertout Tome I Dépôt Légal 4e trimestre (décembre) 1995 et Tome II 4e trimestre (novembre) 1998
  • Les soldats du feu, pompiers du Havre cités dans Le Havre 1936-1944 de Francis FERNEZ Éditions BERTOUT (Dépôt Légal 2e trim (avril) 2004)
  • Anecdote citée par Gérard VOGEL in Bulletin n°62
  • L’instruction civique au lycée pendant l’Occupation in Bulletin n°99
  • Libération ? Oui, mais… par Pierre AUBERY in Bulletin n°101
  • Il y a trente ans, les lycéens fêtaient la victoire de Philippe MANNEVILLE in Bulletin n°61 (2e trim. 1975)
  • Occupation, épuration, reconstruction. Le monde de l’entreprise au Havre (1940-1950) de Claude MALON (P.U.R.H. 2013)

Écrit par : Sylvain Barubé

Le 02/09/2023