Gérard MORPAIN

13/05/1897 Bordeaux – 7/04/1942 Mont-Valérien

Professeur d’Histoire et Géographie (1936-1941)


Extrait d’une photo au lycée en 1937-1938

Jean, Paul, Gérard Morpain (Gérard est son prénom d’usage), fils de François Morpain et de Thérèse BONNALGUE, est un ancien combattant de la première guerre mondiale qu’il a finie comme sergent, décoré de la Croix de Guerre. Pendant ce conflit, il avait, selon Jacques HAMON et Pierre GARREAU, été fait prisonnier, puis s’était évadé en se cachant dans des bennes à ordures.

Le 3 novembre 1921, il épouse Thérèse BOUIN à Paris VIème. Franc-maçon (« Loge Émile Zola »), il a été nommé en 1936 professeur au lycée de garçons du Havre et vit avec son chien « Fakir » 16 rue de Verdun à Sanvic (rue qui porte aujourd’hui son nom). Son épouse, chirurgien-dentiste, et son fils Frédéric, né en 1925 (un autre fils serait mort en bas âge), sont restés à Paris, et certains affirment que le couple bat de l’aile. Morpain assure également des cours d’Histoire de l’Art à l’école des Beaux-Arts.

Résistant de la première heure, homme d’une grande générosité mais sans doute d’une grande imprudence, il a formé rapidement, dès l’été 1940, un petit réseau de Résistance, un des tous premiers, le « Groupement de Résistance Générale », qu’il surnomme apparemment « Jeannette » (en référence à Jeanne d’Arc), qui vise à renseigner les alliés.

Il est secondé, entre autres, par Jacques Hamon (20 ans, « Maurice Hue » dans la clandestinité) et par un de ses élèves ou anciens élèves, Pierre Garreau (16 ans, alors en classe de première, peut-être celui qui l’a poussé à entrer en résistance, ce qu’il se reprochera jusqu’à la fin de ses jours). Ces jeunes gens, et quelques autres, ont déjà tenté de s’organiser pour « repérer, déplacer, cacher armes et munitions abandonnées par les troupes françaises ou anglaises » (Pierre Garreau). Il semble que des armes et des explosifs ont été récupérés notamment dans les ruines des casernes du boulevard de Strasbourg ou sous les tribunes du stade du « H.A.C.-hockey » à Bléville.

Mais ces jeunes hommes ont rapidement ressenti le besoin de « trouver un guide » et ont contacté Morpain, dans le jardin duquel ont été cachées des armes, d’autres l’étant par exemple dans les greniers du « Cercle Franklin » ou au local des « Amis du Ping-Pong » rue Cassard... Passé ce stade embryonnaire, neuf groupes (certains disent une vingtaine), soit au total une centaine d’hommes de tous horizons et de fonctions multiples, sont bientôt constitués.

Les membres fondateurs du réseau s’étaient donné initialement deux missions : le renseignement pour informer Londres sur les forces allemandes, et l’action paramilitaire pour se préparer, le moment venu, à combattre au côté des Alliés... Pierre Garreau explique toutefois que la nature de l’activité du réseau était plus défensive qu’offensive, n’effectuant aucun sabotage ni acte « terroriste », bien que totalement solidaire de l’action des maquis.

Rapidement, le réseau apportera son aide aux aviateurs alliés tombés dans la région (ce qui vaudra à quelques-uns, dont Gérard Morpain, le titre de « Helper »).

Pour favoriser la transmission des renseignements à Londres, un des membres du groupe « Bourse » présente, selon Georges GODEFROY, à Morpain un individu se faisant nommer « Gouge » et se prétendant membre de l’« Intelligence Service ». Morpain commence par lui confier un courrier à porter à Londres, au général DE GAULLE. La mission suivante est d’emmener à Paris quatre aviateurs britanniques, pour les faire passer en Angleterre via la zone libre ; une somme de 10 000 francs est remise à « Gouge » à cette fin. Celui-ci va abandonner les quatre Britanniques à Paris, qui vont revenir au Havre raconter leur mésaventure, le groupe assurant lui-même leur exfiltration.

« La Résistance n’avait pas alors atteint cette dureté que lui donnera les épreuves » (Georges Godefroy). Gérard Morpain décidera d’oublier les méfaits de « Gouge », bien que celui-ci soit revenu au Havre.

Parallèlement, et sans doute en janvier 1941, le réseau va réussir à établir un contact avec Londres. « Nous pouvons imaginer l’émotion et la joie que ces enfants perdus de la Résistance éprouvèrent en entendant un soir, dans les messages personnels de la B.B.C. que « La Hire est au rendez-vous » : ils n’étaient plus seuls, ils entraient enfin dans la lutte » (Georges Godefroy).

Mais « Gouge », bien qu’écarté du réseau, a conservé un pouvoir de nuisance. Ses bavardages, sa vantardise, sa mythomanie font qu’il est repéré par les Allemands, mais aussi approché par de jeunes lycéens, par ailleurs complètement ignorants du rôle joué par Gérard Morpain et son groupement. L’un des lycéens confie à « Gouge » qu’un Anglais est caché rue de Metz, dans l’attente d’une filière d’évasion. Entre-temps, « Gouge » est arrêté par les Allemands, et c’est le Doktor ACKERMANN, « Kreiskommandant » et chef de la Gestapo du Havre, qui vient au rendez-vous avec l’aviateur britannique. Les lycéens, arrêtés, sont relâchés, mais « Gouge » va parler, dénoncer huit des membres du groupe Morpain qu’il connaît, ainsi qu’un professeur du lycée qu’il affirme avoir rencontré, mais dont il ignore le nom. Ackermann convoque alors tous les professeurs du lycée et les fait passer devant « Gouge », qui n’en reconnaît aucun. En pointant la liste, Ackermann s’aperçoit qu’il en manque un, et c’est bien sûr Gérard Morpain.

Le lendemain, Ackermann se rend au domicile de Morpain et l’arrête. Il laisse d’abord Jacques Hamon, présent sur les lieux, les quitter, avant de se raviser, de le faire arrêter et de le faire interroger dès le lendemain par un certain MARTZ, « le plus odieux des agents de la Gestapo au Havre » (Georges Godefroy).

Sur cette arrestation persiste toutefois un certain flou. « Le mercredi 16 avril 1941, la Gestapo arrête, au lycée de garçons, pendant son cours, un professeur d’histoire et de géographie de 44 ans : Jean Paul Gérard Morpain, dit Gérard Morpain » écrivent Jean-Paul et Jean-Claude DUBOSCQ. Telle est la version qu’on a, pendant longtemps, tendu à présenter comme « officielle », également soutenue par les Compagnons de la Libération et de la France Libre du Havre, et même par la mouvance communiste, version qui semble aujourd’hui hautement improbable. Pierre Garreau, quant à lui, situait cette arrestation en juillet 1941, le site internet de l’Université Paris 1 au 6 juin 1941, Jacques Hamon en mai 1941...

Quoi qu’il en soit, quelques vingt-cinq membres du groupe sont arrêtés. Les occupants entament des perquisitions qui leur auraient permis de découvrir un poste-émetteur, quelques armes et explosifs (notamment ceux cachés dans le jardin de Morpain), mais pas les cachettes du « Cercle Franklin » ni de la rue Cassard...

Gérard Morpain est inculpé d’espionnage, activité anti-allemande et intelligence avec l’ennemi. Ses camarades et lui sont incarcérés à la prison de la rue Lesueur au Havre, puis à Rouen, et enfin à la prison de la Santé à Paris. Fin novembre 1941, la Cour martiale se réunit à Paris, dans les locaux de l’Hôtel InterContinental, pour juger douze membres du réseau, ainsi que « Gouge » dont ils découvrent alors la trahison. Le verdict est prononcé le 14 décembre 1941.

Sont condamnés à mort Gérard Morpain, René BRUNEL, Georges PIAT et Robert ROUX. Tous quatre seront fusillés le 7 avril 1942, à 16 heures 10, au Mont-Valérien. [Voir la dernière lettre de Gérard Morpain à sa mère]

D’autres seront condamnés aux travaux forcés en Allemagne, dont certains ne reviendront pas. Trois seront acquittés, dont Jacques Hamon (que « Gouge » n’avait jamais rencontré, et dont il fut admis qu’il avait signé des aveux sous la contrainte de Martz). « Gouge » sera quant à lui condamné à cinq ans de travaux forcés, et mourra en mars 1945 à Mauthausen (Autriche).

Gérard Morpain sera inhumé, sous le prénom de Jean, au cimetière d’Ivry-sur-Seine, puis transféré en février 1945 au cimetière de Mantes-la-Jolie. Son nom figure, en tant que Gérard Morpain, sur le monument aux morts de Goussonville (Yvelines) non loin de Mantes, où, selon Pierre Garreau, il possédait une propriété (ce même Garreau avait assisté à l’exhumation de Morpain à Ivry, mais ne se souvenait pas où il avait été transféré et pensait que ce pouvait être à Goussonville).

Gérard Morpain recevra à titre posthume la médaille de la Résistance, obtiendra le grade de capitaine dans les F.F.I., et la mention « mort pour la France » lui sera attribuée en 1949. Son nom figure sur la cloche du mémorial de la France combattante au Mont-Valérien mise en place en 2003, mais aussi, au Havre, sur le monument commémoratif de la Résistance et de la Déportation, dans le jardin de l’Hôtel-de-Ville, ainsi bien sûr que sur notre monument aux Morts.

Chaque année, notre association lui rend hommage, aux environs du 11 novembre, juste après la cérémonie du Souvenir, dans la salle du lycée qui porte son nom depuis le 23 décembre 1944, date à laquelle elle fut inaugurée en présence d’Edmond RESCA, proviseur du lycée, de Pierre Garreau, d’Émile BÉCHET, de Frédéric Morpain et du Docteur ROMAIN, président des Anciens Élèves.

Année scolaire 1940 - 1941 - Photo de l'équipe de professeurs du Lycée


Écrit par : Jean-Michel Cousin

Le 27/06/2022