Jean, Philippe, Arthur DUBUFFET

31/07/1901 Le Havre – 12/05/1985 Paris VIème

Élève lycée de Garçons (1908 – 1918)

Membre de l’Association dès 1919

Peintre, sculpteur et plasticien. Négociant en vins


Photographie : Fondation Dubuffet 1919

Fils de Charles-Alexandre Dubuffet et de son épouse, née Jeanne, Léonie PAILLETTE, tenant un important commerce de négoce en vins, Jean Dubuffet appartient à la « bonne » bourgeoisie havraise. Il entre au lycée de garçons de la rue Ancelot dès l’âge de 7 ans et y suivra toute sa scolarité. Parmi ses condisciples, on distingue Armand SALACROU, Raymond QUENEAU et Georges LIMBOUR. Il vit à l’époque 91 boulevard de Strasbourg, ce qui correspond à l’angle nord-est du boulevard de Strasbourg et de la place de l’Hôtel-de-Ville.

Mais il n’est guère passionné par les études classiques et s’intéresse rapidement au dessin. Dès la classe de seconde, il s’inscrit aux cours du soir de l’école des Beaux-Arts du Havre. Pendant l’été 1917, il prend des cours auprès de Hélène GUINEPIED, à Saint-Moré (Yonne), qui enseigne une technique de dessin libre à grande échelle qui sera connue après 1920 comme « méthode HELGUY ».

En 1918, Jean Dubuffet obtient son baccalauréat « philosophie », et le prix d’excellence. Il part alors pour Paris pour se consacrer à la peinture, accompagné par Georges Limbour qui désire, quant à lui, s’adonner à la poésie… Il s’inscrit à l’Académie JULIAN, école privée de peinture et de sculpture de bonne réputation, qu’il quitte au bout de six mois quand il constate qu’il préfère apprendre seul, ouvrant un atelier 37 rue de la Chaussée-d’Antin à Paris IXème, non loin de la gare Saint-Lazare, dans une dépendance de l’affaire familiale.

Il va fréquenter à cette époque Suzanne VALADON, Élie LASCAUX, Max JACOB, Charles-Albert CINGRIA, Roger VITRAC et Raoul DUFY.

En 1920, Jean Dubuffet va effectuer un séjour à Alger avec ses parents. À la suite de ce voyage, il va décider de vivre en reclus. Il choisit d’étudier les langues, de travailler la littérature et la musique. En bref, il se disperse. « Je cherchais « L’Entrée ». […] J’avais l’impression que je n’étais pas adapté à ma condition humaine ».

En 1922, Jean Dubuffet fréquente l’atelier d’André MASSON puis, en 1923, il se rend à Lausanne chez son ami, l’écrivain Paul BUDRY. Sur le retour, il fait un passage en Italie avant de rentrer pour effectuer son service militaire. Pendant cette période, il fait la connaissance de Fernand LÉGER et rencontre Juan GRIS chez un marchand d’art.

Mais il doute des valeurs de la culture. Convaincu que l’art occidental se meurt, il écrit : « La peinture de l’après-guerre est […] une réaction contre les audaces du début du siècle ». Il cesse de peindre, ce qui va durer huit ans et, après un séjour de quatre mois à Buenos Aires, il revient au Havre pour travailler dans l’affaire de son père. En 1927, il épouse Pierrette BRET (ils auront en 1929 une fille baptisée Isalmina). Cette même année son père décède. En 1930, Jean Dubuffet fonde à Bercy un commerce de vins en gros ; il vit à l’époque à Saint-Mandé.

Après un voyage en Hollande en 1932, il décide de s’installer, en 1933, dans un nouvel atelier, rue du Val-de-Grâce à Paris Vème, où il va travailler quelques heures chaque après-midi.

Nous sommes en 1935. Jean Dubuffet effectue un nouveau séjour en Suisse, et se sépare de son épouse. Il décide alors de se consacrer pleinement à la peinture et met son entreprise en gérance. Il est à la recherche d’une forme d’expression nouvelle, s’essaie à la fabrication de marionnettes et de masques sculptés, sans grand succès ; il envisage même de se faire montreur de marionnettes. Il rencontre Émilie CARLU, dite « Lili », qu’il épousera en décembre 1937. Il déménage son atelier 34 rue Lhomond, toujours à Paris Vème, et effectue un voyage en Belgique.

En 1937, le commerce de Bercy menaçant de faire faillite, Jean Dubuffet abandonne une nouvelle fois la peinture pour redresser son affaire

En 1939, il est mobilisé au ministère de l’Air, à Paris, et est bientôt envoyé à Rochefort pour indiscipline. En 1940, au moment de l’exode, le voilà à Céret (Pyrénées-Orientales) où il est démobilisé et d’où il revient à Paris pour reprendre son affaire.

En 1942, pour la troisième fois, Jean Dubuffet décide de se consacrer entièrement à la peinture. Désormais, il ne cessera plus de peindre, mais c’est alors un peintre « quasi clandestin » (Gaétan PICON).

Il va à cette époque réaliser plusieurs tableaux qui vont contribuer à le faire connaître. Le premier s’intitule Les Gardes du Corps, une huile sur toile considérée comme le point de départ de son œuvre. C’est son ami de lycée Georges Limbour qui va le lui acheter et le sortir de la clandestinité en le présentant à l’écrivain Jean PAULHAN. Installé dans un nouvel atelier, 114 bis rue de Vaugirard à Paris VIème, Jean Dubuffet présente alors de nombreuses toiles, notamment des gouaches et commence à être exposé dans la galerie de René DROUIN, alors située 17 place Vendôme. Une autre œuvre marquante de cette époque sera Métro, autre huile sur toile représentant des voyageurs agglutinés dans une rame de métro.

De 1944 à 1947, Jean Dubuffet va présenter de nombreuses expositions chez Drouin : ce sont des œuvres très colorées, d’allure « barbare » ou « délirante », qui vont plaire à certains, mais beaucoup vont crier à la provocation et à l’imposture. La galerie reçoit des lettres anonymes et le livre d’Or est couvert d’insultes. Il faut dire que les œuvres présentées jouent avec « la gaucherie, le gribouillage, la matière brute […]. Ces œuvres rappellent les dessins d’enfant et aussi, pour Dubuffet, l’importance des œuvres des malades mentaux dont il est grand collectionneur et dont il reconnaît s’être inspiré » (Wikipedia). Dès 1945, il entreprend des recherches sur la production d’Art brut, dont il est aujourd’hui considéré comme un des précurseurs.

Jean Dubuffet ne cherche pas à plaire, ni même à vendre, dégagé qu’il est des contraintes matérielles par la fortune familiale. Cette démarche est soutenue par Jean Paulhan, Georges Limbour, Francis PONGE ou André BRETON, mais aussi par Pierre MATISSE, fils du peintre, qui l’exposera régulièrement dans sa galerie de New York de 1947 à 1959.

L’esprit restera le même si la façon, la technique et les matériaux employés (maçonnerie, pâtes épaisses, etc) évolueront, parfois au hasard de voyages et on retiendra notamment trois séjours au Sahara dont Jean Dubuffet expliquera l’importance. En 1952, il commencera à réaliser des œuvres en trois dimensions avec des matériaux et objets divers, se rapprochant toujours plus de l’Art brut.

A l’été 1954, « Lili », malade, doit effectuer une cure à Durtol, près de Clermont-Ferrand. Jean Dubuffet y loue une maison et va se consacrer à la peinture de paysages et de vaches. La santé de son épouse nécessite toutefois l’installation dans une région au climat favorable et, début 1955, le couple s’installe à Vence.

La production de Jean Dubuffet est alors abondante, éclectique. « De toutes les recherches que Jean Dubuffet effectua, la série des « Texturologies » et des « Matériologies » est celle qui suscita le maximum de défiance et de quolibets. C’est peut-être parce qu’elle marquait le point ultime (et peut-être le plus accompli) de ses expériences sur les regards et sur les choses. […] Dubuffet avait enfin fabriqué ce qu’il avait toujours souhaité : des machines à rêver [...] », écrira Daniel CORDIER, un galeriste parisien devenu son marchand pour l’Europe et les États-Unis. Les travaux de cette période seront exposés en 1961 au Musée des Arts décoratifs de Paris, avec d’autres œuvres de périodes antérieures. C’est à cette occasion, dans le catalogue de cette exposition, que Jean Dubuffet écrira : « Le vrai art il est toujours là où on ne l'attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L'art, il déteste d'être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L'art est un personnage passionnément épris d'incognito. Sitôt qu'on le décèle, que quelqu'un le montre du doigt, alors il se sauve en laissant à sa place un figurant lauré qui porte sur son dos une grande pancarte où c'est marqué Art, que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez ».

En 1960, il s’installe dans une nouvelle maison qu’il a fait construire à Vence, Le Vortex. Il va pouvoir travailler dans des locaux plus spacieux que ceux qu’il avait pu trouver en arrivant dans cette ville. Il se lie à cette époque d’amitié avec Alphonse CHAVE, un galeriste local qu’il voit quasiment chaque jour, et entretient une relation amicale très proche avec Alexandre VIALATTE, qui écrira : « La production de Jean Dubuffet est mystérieuse. Une littérature considérable mais coûteuse la décrit, la célèbre, la numérote […]. Toute son œuvre est une espèce de contre-ciel : un récit plein de fautes d’orthographe, de fautes voulues et recherchées ; il ne la raconte pas, il la bafouille ».

L’été 1962, il s’en va séjourner dans sa nouvelle villa-atelier, Le Mirivis, au Touquet – Paris-plage, dans le Pas-de-Calais natal de son épouse. Il va y réaliser des dessins au stylo-bille rouge et bleu accompagnés de textes et de noms imaginaires, prélude au cycle de L’Hourloupe, une de ses œuvres majeures entre 1962 et 1974. Pendant l’été 1963, il peindra des paysages de la région du Touquet. On parlera alors d’un « Dubuffet nouveau », se caractérisant par des renouvellements incessants, et même la réalisation de quelques sculptures…

Jean Dubuffet exposera en 1964 sa production récente à la Biennale de Venise. Puis il expose à Bâle, à Dallas, à Minneapolis, à Londres, à Amsterdam, au musée Guggenheim de New York. Il travaille alors sur le tissu urbain, les foules, le tout emmêlé dans des couleurs vives et des sinuosités. Les travaux de cette série (toiles, encres de couleur, sculptures peintes, assemblages) seront donc rassemblés sous le nom de Hourloupe. Ces travaux, toujours contestés, donneront également naissance à une œuvre baptisée Coucou bazar présentée à l’été 1973 au Musée Guggenheim de Bilbao.

Mais, depuis 1966, Jean Dubuffet est passé aux réalisations en volume, d’abord d’objets puis de bâtiments, en fait des « peintures monumentées ». Il va utiliser le polystyrène, le polyester, la résine époxy, le béton projeté. Il va abandonner la peinture à l’huile pour le vinyle, le polyuréthane, voire le marker. Il va produire de nombreuses œuvres qui vont prendre place par exemple à la Villa Falbala à Périgny-sur-Yerres, dont la closerie est aujourd’hui siège de la Fondation Dubuffet, au One Chase Manhattan Plaza de New York (commande du banquier David ROCKEFELLER), au Centre national d’art et de culture Georges POMPIDOU à Paris, à Houston (Texas) et Chicago (Illinois). En 1974, Jean Dubuffet reçoit commande d’un salon d’été de la Régie Renault. Les travaux commencent en 1975 dans les locaux de l’usine de Boulogne-Billancourt. Mais la Régie change de PDG, et le nouveau directeur décide l’arrêt des travaux. Jean Dubuffet va alors se lancer dans un long procès avec appel, cassation, mais les travaux ne seront pas repris.

En 1978, une rétrospective est exposée au Musée des Beaux-Arts et à la Bibliothèque municipale du Havre, et Dubuffet va exposer pour la première fois à Tokyo.

Fin 1984, Jean Dubuffet décide de cesser sa production artistique. Tout au plus publiera-t-il début 1985 sa Biographie au pas de course.

Il meurt cette même année, à l’âge de 83 ans. Tout comme « Lili », décédée en 1988, il repose dans le cimetière de Tubersent, petite commune du Pas-de-Calais proche du Touquet où était née son épouse.


Écrit par : Jean-Michel Cousin

Le 20/07/2022