Pierre, Charles RUFENACHT


22/06/1924 Le Havre – 4/08/1975 Le Havre
Élève lycée de garçons (1939-1940)
Combattant des Forces Françaises Libres
Membre de l’Association en 1946
Chef d’entreprise


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Compagnons de la Libération et Français libres du Havre, depuis le livre familial « Pierre »

Pierre Rufenacht est le fils de Charles Rufenacht, administrateur de sociétés, et de Odette KRONHEIMER, son épouse. Il est issu d’une famille de négociants protestants originaire de Thoune, en Suisse, dans l’Oberland bernois, installée au Havre dans la seconde moitié du XIXème siècle.

En 1939, il entre en seconde dans notre lycée, où il ne passera, conflit oblige, qu’une année scolaire incomplète. En 1941-1942, on le retrouve interne dans un lycée de Toulouse, à une quarantaine de kilomètres de Layrac-sur-Tarn, en Haute-Garonne, où se sont réfugiés au moment de l’exode ses grands-parents Kronheimer et où il passe ses vacances. Il s’agit d’une famille très anglophile où on s’exprime aussi bien en français qu’en anglais. On y écoute « Radio-Londres » et Pierre Rufenacht apprend que, depuis septembre 1941, son oncle François THIERRY-MIEG (il s’est marié avec une demoiselle Kronheimer), fait prisonnier dans les Vosges en 1940, évadé d’Allemagne vers l’est puis prisonnier de l’URSS, est parvenu à rejoindre Londres, où il deviendra un membre éminent des services secrets gaullistes. En août 1942, Pierre Rufenacht rencontre Emmanuel d’HARCOURT, du « Bureau central de renseignement et d’action » (BCRA), un ami de la famille, propriétaire du château d’Orcher, qui vient de débarquer à Narbonne (Aude) et va être hébergé quelques jours à Layrac.

Il paraît assez évident que les actions de ces deux hommes ne vont pas être pour rien dans la naissance du projet qui va maintenant mûrir chez Pierre Rufenacht : rejoindre Londres pour combattre les Nazis. Le 18 décembre 1942, après l’invasion par l’occupant de la zone dite libre, sans avoir prévenu personne mais non sans avoir envoyé à ses grands-parents un télégramme proclamant : « Me suis engagé dans la LVF » (« Légion des Volontaires français contre le bolchevisme », organisation collaborationniste), il prend, en gare routière de Toulouse, un camion, et gagne Perpignan, puis Sorède (Pyrénées-Orientales), cité frontalière avec l’Espagne non loin de Collioure. Bientôt, avec un guide-passeur, il va franchir à pied les Pyrénées et entrer en Espagne. Il tente alors de gagner Barcelone par le train, mais est arrêté le 20 décembre par la police. Ayant détruit ses papiers d’identité français, il se fait passer pour un sujet britannique, « Peter Reynolds ». Il va alors passer près d’un mois à la prison pour hommes de Barcelone, dite « Carcel modelo » (prison modèle), surpeuplée.

Le 14 janvier 1943, il est transféré à la prison de Saragosse, puis dans diverses résidences surveillées dont les conditions de détention sont beaucoup plus confortables, à Irún, Fuenterrabia et Deva, au Pays Basque, puis à Madrid à partir du 12 avril. C’est à cette époque qu’il apprend que son cousin Philippe REINHART a, lui-aussi, gagné l’Espagne en franchissant les Pyrénées, depuis l’Ariège par la vallée de la Puigcerdà, le 8 février, en compagnie d’Emmanuel d’Harcourt (lui-aussi connaîtra la prison de Barcelone, pendant trois mois). Pierre Rufenacht, quant à lui, se démène avec l’ambassade de France pour obtenir un précieux visa. Enfin, le 22 juin, le jour de ses 19 ans, il parvient à s’embarquer, à Gibraltar, sur le cargo mixte « Highland Princess », qui l’emmène à Greenock, l’avant-port de Glasgow, en Écosse, après une traversée de six jours marquée par deux attaques aériennes. Arrivé le 29 juin à Londres, il y est interrogé par la Royal Air Force et la Royal Navy, « dernière claustration avant la liberté » destinée à vérifier son identité et ses motivations…

Le 19 juillet 1943, Pierre Rufenacht s’engage dans les Forces françaises libres, et déjeune avec son oncle, François Thierry-Mieg. Il hésite alors à entrer à l’École des Cadets, mais, pressé de combattre, il décide de servir dans les commandos, et choisit les parachutistes du « Special Air Service » (SAS), une unité des forces spéciales britanniques, une troupe d’élite. Il y sera rejoint le 1er août par son cousin Philippe Reinhart, qui a lui-aussi réussi à rejoindre l’Angleterre. Il aura également quelques semaines plus tard l’occasion de déjeuner avec un autre de ses cousins, Claude RAOUL-DUVAL, pilote de chasse, qui vient lui-aussi de revenir de France via l’Espagne après avoir été abattu. Pierre Rufenacht va alors subir près d’une année d’entraînement intense, dans divers camps anglais et écossais. Dès le 20 septembre 1943, nommé caporal, il est breveté parachutiste, ce qui lui permet d’intégrer ce qui va devenir le 4ème BIA (« Bataillon d’infanterie de l’air »), une unité française de 500 hommes dirigée par le commandant Pierre BOURGOIN, dit « le manchot ». Les BIA sont rejoints en décembre par leurs homologues britanniques et belges au sein de la Brigade SAS de l’« Army Air Corps » et, le 1er avril 1944, l’unité de Pierre Rufenacht devient le 4ème SAS (2,ème régiment de Chasseurs parachutistes ou RCP) qui va être bientôt incorporé aux troupes aéroportées britanniques. Un nouveau stage d’entraînement, dans des conditions météorologiques difficiles, est suivi d’un regroupement dans le camp secret de Fairford, dans le Gloucestershire, point de départ de leur mission. Le 1er juin 1944, les officiers sont informés qu’ils sont chargés d’opérer en Bretagne pour couper les communications allemandes, maintenir en Bretagne les unités allemandes qui s’y trouvent pour les empêcher de rejoindre le front de Normandie, mais aussi de prendre contact avec la Résistance et former les maquisards.

Les cinq cents parachutistes du 4ème SAS seront parachutés en deux vagues, l’une au-dessus des Côtes-du-Nord (Côtes-d’Armor aujourd’hui), l’autre au-dessus du Morbihan, et y établiront deux bases. Il y a en Bretagne 40 000 soldats allemands, fantassins, artilleurs, « Waffen SS », etc. Un véritable guêpier pour ces jeunes soldats. Pierre Rufenacht est donc largué, dans la nuit du 10 au 11 juin 1944, au bois de Duault, dans les Côtes-du-Nord. Il va participer à de très durs combats. Sa conduite lui vaudra cette citation à l’ordre du corps d’armée par le lieutenant-colonel Bourgoin : « Très bon parachutiste. Parachuté en France à Duault le 10 juin 1944, a eu une belle conduite au feu au combat de Duault le 12 juin 1944. A participé ensuite avec courage et activité inlassables à l’instruction et à l’organisation des maquis bretons. A effectué avec le maquis plusieurs opérations de harcèlement sur les convois et détachements ennemis isolés en retraite en Bretagne au début du mois d’août 1944 [...] ». Le 20 juillet, il avait reçu une balle dans la cuisse, mais avait repris le combat avant sa guérison complète.

Entre fin août et mi-septembre 1944, le 2ème RCP est affecté à une opération nommée « Spencer », dont le PC opérationnel se trouve à Briare, dans le Loiret. Pierre Rufenacht va participer très activement, le 8 septembre, à l’attaque du bourg de La Chapelle-d’Angillon dans le Cher, ce qui lui vaudra une citation à l’ordre de la division. Il va alors bénéficier de quelques jours de permission qu’il va passer à Layrac, chez ses grands-parents, avant de regagner son régiment, à Gien, dans le Loiret. Vers la fin du mois de septembre, le régiment est regroupé en Champagne, à Montmirail, dans la Marne.

Du 24 décembre 1944 au 25 janvier 1945, le 4ème SAS est engagé dans les Ardennes pour participer à y contrecarrer, dans des conditions hivernales, la contre-attaque allemande. Enfin, début avril 1945, le sergent Pierre Rufenacht est parachuté sur les Pays-Bas avec son régiment, dans le cadre de l’opération « Amherst », avec pour objectif de désorganiser les unités allemandes défendant le nord de ce pays et de s’emparer de certains points stratégiques. Malheureusement, il se fracture le fémur droit et se blesse à la main pendant ce saut pratiqué de nuit dans des conditions météorologiques défavorables. Évacué, il sera rapatrié en Angleterre le 11 avril pour y être soigné. Pour lui, la guerre est terminée.

Pierre Rufenacht rentre au Havre le 24 novembre 1945. Il va s’en aller passer quatre ans au Brésil, puis prendra la direction du bureau marseillais de l’entreprise de son père, la « Société Commerciale Interocéanique » ou « Intero ». En novembre 1952, il épouse Nicole FRAISSINET qui lui donnera… six filles… En 1962, Charles Rufenacht meurt et son fils rejoint Le Havre pour lui succéder à la tête de l’entreprise familiale.

À noter que, dès le 14 janvier 1946, Pierre Rufenacht a établi une demande d’admission à notre association.

Il meurt prématurément, à l’âge de 51 ans. Son corps repose au cimetière Sainte-Marie.

Son frère cadet, Antoine Rufenacht, né en 1939, sera, entre autres postes politiques importants, maire du Havre de 1995 à 2010.

Décorations :

  • Légion d’honneur, au grade de chevalier (21 mars 1960), remise par François Thierry-Mieg
  • Médaille militaire
  • Croix de guerre 1939-1945 avec 6 citations
  • Médaille des évadés
  • Croix du combattant volontaire
  • Croix du combattant volontaire de la Résistance

Écrit par : Jean-Michel Cousin

Le 26/12/2022