Benoît DUTEURTRE
20/03/1960 Sainte-Adresse – 16/07/2024 Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Élève lycée François 1er (1970-1973)
Écrivain
Musicologue
Animateur de radio et de télévision

Benoît Duteurtre naît à Sainte-Adresse, à la clinique de la Roseraie. Il est l’aîné des six enfants de Jean-Claude Duteurtre et de son épouse, née Marie-Claire GEORGES. Celle-ci est la fille du Docteur Maurice Georges, ORL réputé sur la place du Havre et ancien député, et de Anne-Marie COTY (qui fut élève du lycée en classe de philosophie en 1928-1929), fille cadette de René Coty. Cette filiation fait par conséquent de Benoît l’arrière-petit-fils de l’ancien président de la République décédé en 1963. Son père, fils du directeur de l’entreprise havraise de BTP Colboc, lui-même attaché à la direction du Port Autonome du Havre, avait hésité à embrasser la vie monastique ; il avait été novice à l’abbaye de Saint-Wandrille (ancienne abbaye de Fontenelle située aujourd’hui à Rives-en-Seine) et était resté proche de la communauté, où Benoît fera retraite pour préparer son baccalauréat.
Mais avant cela, après une scolarité primaire à l’école Saint-Michel, Benoît Duteurtre est donc élève du lycée François 1er de la 6ème à la 4ème, un établissement qu’il apprécie énormément, et notamment deux professeurs, Monsieur BOUQUIN en Lettres et Monsieur FORTERRE en Allemand. Il terminera, apparemment contre son gré, sa scolarité à l’institution Saint-Joseph (« À la fois triste et furieux, je m'étais retrouvé, à la rentrée de troisième, dans un collège réservé aux garçons. Après trois ans de lycée, cette arrivée à Saint Joseph, le vieil établissement catholique de la ville, m'avait donné l'impression de régresser pour intégrer un troupeau de collégiens névrosés. L'enseignement d'éducation sexuelle était assuré par un sinistre curé » écrira-t-il dans « L’Été 76 », roman paru en 2011)... Il semble qu’il vit alors au Havre, une ville qu’il n’apprécie guère pendant ses jeunes années, rue Saint-Martin, à deux pas de l’ancienne institution Saint-Michel, celle que l’on nommait « Pension Coty », autrefois dirigée par son trisaïeul Jean Coty. Il est contaminé très jeune par le virus de l’écriture et n’hésite pas à montrer ses textes, dès l’âge de 15 ans, à notre camarade Armand SALACROU qui l’encourage dans cette voie. Également passionné par la musique, surtout contemporaine, il étudie le piano et entreprend, en 1977, à Rouen, des études de musicologie qui lui permettront d’obtenir une licence. Il admirerait alors Pierre BOULEZ (il livrera cependant, en 1995, un réquisitoire sévère quant au magistère de celui-ci sur la musique française dans un essai, « Requiem pour une avant-garde », prenant pour cible une certaine « musique contemporaine » transformée en nouvel académisme, s’attirant ainsi les foudres d’une certaine presse), rencontre Karlheinz STOCKHAUSEN et Iannis XENAKIS, tenants de la musique atonale, étudie un an avec György LIGETI...
« Monté » à Paris dès 1979, il se plonge dans l’univers underground, « aux frontières du monde artistique et des “classes dangereuses” ». Continuant à écrire, il reçoit de l’écrivain irlandais Samuel BECKETT, prix Nobel de littérature 1969, à qui il fait parvenir quelques textes en 1982, le conseil d’éditer ses textes dans la revue des « Éditions de Minuit ». Il joue par ailleurs du piano dans divers spectacles musicaux, notamment au « Printemps de Bourges », et pour accompagner des cours de danse, à côté de petits boulots comme sondeur et vendeur au Bazar de l’Hôtel de Ville. Il tient également, en 1983, le clavier lors de l’enregistrement de la chanson « Paris Latino » du groupe Bandolero, qui obtiendra un certain succès populaire. Il se lance dans le journalisme et écrit pour divers journaux.
Sa carrière va s’effectuer tant dans le domaine de la littérature que dans celui de la musique. En 1985 paraît son premier roman, « Sommeil perdu », édité chez Grasset. Il en publiera pas moins de vingt-quatre autres, notamment chez Gallimard, dont la couverture d’un certain nombre a été dessinée par son ami SEMPÉ, dont certains ont été traduits dans plus de vingt langues et dans lesquels Le Havre de sa jeunesse tiendra une place non négligeable. Il écrira notamment, toujours dans « L’Été 76 » : « Les bombardements de 1944 avaient transformé le centre-ville en champ de ruines, aussi impressionnant que Dresde ou Hiroshima. Édifiée sur ce carnage, la nouvelle ville de béton armé […] avait quelque chose de stalinien ». Il écrira également des essais et chroniques. Cela lui vaudra plusieurs prix, dont le prix Médicis en 2001 pour « Le voyage en France », et le Grand-Prix Henri-Gal de l’Académie française en 2017 pour l’ensemble de son œuvre. L’Académie française se refusera cependant à lui par deux fois, en 2019 et 2022, échecs dont il sera « affecté » selon son frère cadet Jean-Baptiste. L’œuvre littéraire de Benoît Duteurtre, admirateur et ami de Michel HOUELLEBECQ, « privilégie le roman de type balzacien, caractérisé par la richesse de ses personnages et de ses situations, [s’opposant] au Nouveau Roman centré sur l’auteur et son « je » qu’il juge stérile ». Son esprit sarcastique n’épargne pas son époque : les téléphones portables, les éoliennes, les ronds-points, l’univers numérique, les campagnes anti-tabac… Benoît Duteurtre est doué pour la gaîté, « cet art de rire sans ricaner, de tendre à la vraie joie ».
Côté musical, il devient en 1991 conseiller de la Biennale de Lyon pour la musique française, en 1993 directeur de la collection « Solfèges » aux Éditions du Seuil. En 1995, il participe à la création de « Musique nouvelle en liberté », association destinée à promouvoir de nouveaux compositeurs, dans l’espoir de rétablir le lien rompu entre concert classique et compositeurs vivants. Il écrit ou adapte des textes pour des opéras comiques ou des opérettes, genre qu’il apprécie particulièrement.
Tout ceci l’amène presque inévitablement à devenir animateur dans l’audiovisuel, d’abord sur France Musique, où il présente, de 1996 à 1999 « Les beaux dimanches », puis après 1999 et jusqu’à sa mort, « Étonnez-moi Benoît » (d’après le titre d’une chanson de Françoise HARDY, sur des paroles de Patrick MODIANO, prix Nobel de Littérature en 2014), une émission diffusée le samedi consacrée à l’opérette, à la chanson traditionnelle et à la musique légère. En 2005, il présente la série « Les folies de l’Opérette » sur France Télévision. Sur France 2, il présentera à plusieurs reprises, avec Stéphane BERN, le concert du Nouvel an à Vienne. Une sorte de saga, « La grande histoire de l’Opérette », enregistrée peu avant sa mort, devait être diffusée sur France Musique fin août 2024.
On retrouve par ailleurs ce travailleur acharné comme journaliste écrivant au fil des années dans divers journaux et revues : Elle, Marianne, Le Figaro littéraire, La Vie catholique, Les Lettres françaises, L’Atelier du Roman, Le monde de la Musique, Diapason, Classica, Détective, Révolution, Libération, l’édition française de Playboy… Il partage sa vie entre Le Havre, Étretat où il aime prendre des bains de mer, les Vosges et Paris où il habite sur l’île de la Cité, à l’ombre des tours de Notre-Dame, dans un petit appartement surchargé de livres et de disques. « J’accepte de rester cet homme antédiluvien qui vit et travaille entre ses trésors poussiéreux », écrira-t-il un jour.
Sur un plan plus personnel, il signera en 2013 le controversé « Manifeste des 343 salauds », pour défendre la cause des hommes ayant recours aux prostitué(e)s. Il est ouvertement homosexuel, mais estime que « l'hétérosexualité constitue bel et bien la norme et [que] l'homosexualité est un écart, quoi que dise la propagande désireuse d'entretenir une équivalence entre tout et son contraire ». À l’occasion des débats sur le « Mariage pour tous », il écrit, dans Libération du 4 octobre 2012, que « certains gays en mal d’enfants, poussés par la fumeuse théorie du "genre", voient dans le mariage une reconnaissance de leur sexualité minoritaire ».
Il s’oppose par ailleurs avec vigueur à la gestion de la Ville de Paris, où il ne se sent pas totalement chez lui, par sa municipalité, et principalement à l’action d’Anne HIDALGO.
Il meurt à 64 ans des suites d’une crise cardiaque survenue dans sa maison du Valtin, dans les Vosges (son « petit paradis » où il se retirait notamment pour écrire), village où il est inhumé le 27 juillet 2024.
Sources :
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_Duteurtre
- https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/18/l-ecrivain-et-critique-musical-benoit-duteurtre-est-mort_6252042_3246.html
- https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/07/19/ecrivain-nostalgique-et-revolte-critique-musical-erudit-et-eclectique-benoit-duteurtre-est-mort_6252645_3382.html
- https://www.livreshebdo.fr/article/lecrivain-et-journaliste-benoit-duteurtre-est-mort
- https://www.lefigaro.fr/livres/deces-du-romancier-et-critique-musical-benoit-duteurtre-a-64-ans-20240717
- https://www.paris-normandie.fr/id543479/article/2024-07-17/disparition-de-lecrivain-benoit-duteurtre-originaire-du-havre
- https://www.lejdd.fr/culture/la-memoire-de-benoit-duteurtre-147660
- https://www.diapasonmag.fr/a-la-une/ancienne-plume-de-diapason-lecrivain-benoit-duteurtre-disparait-49387.html
- https://www.telerama.fr/livre/mort-de-benoit-duteurtre-ecrivain-et-voix-de-radio-france-7021376.php
- https://www.lepoint.fr/culture/mort-du-romancier-et-journaliste-benoit-duteurtre-a-l-age-de-64-ans-17-07-2024-2565880_3.php
- https://duteurtre.com/category/essais/requiem-pour-une-avant-garde/
- https://www.liberation.fr/societe/2012/10/04/pourquoi-les-heteros-veulent-ils-marier-les-homos_850932/
- Les Champs libres – Le mag du 28/07/2024 : « Je ne pourrai jamais plus commander un œuf mayonnaise sans penser à Benoît Duteurtre » par Michel HOUELLEBECQ Le Figaro – numéro du 19/07/2024
- Association des Anciens Élèves – Bulletin n° 82 page 8 – Article de Gérard VOGEL
- Paris-Normandie-Édition du Havre du 18/07/2024
- Paris-Normandie-Édition du Havre du 19/01/2025
Décorations :
Ordre des Arts et Lettres au grade de commandeur (2021)
Un merci tout particulier à Nathalie Duteurtre, sœur cadette de Benoît, pour les renseignements qu’elle a bien voulu nous confier.
Écrit par : Jean-Michel Cousin
Le 22/04/2025